Jean-Marie Brohm
Introduction au livre La Lutte sexuelle des jeunes de Wilhelm Reich Éditions Maspéro, 1972 (p. 12 à 29) Nous présentons à la jeunesse française cette petite brochure de W. Reich, marxiste et psychanalyste, convaincus qu'une telle édition correspond à certains besoins objectifs de compréhension et de critique marxiste parmi les jeunes décidés à ne pas subir le sort que leur réserve le capital et ses idéologues. Le lecteur français sera quelque peu surpris par le contenu radical de cette brochure, écrite en Allemagne en 1932, par un militant révolutionnaire. Cette brochure décrit en effet l'atmosphère politique des organisations de masse communistes de jeunesse allemande, juste avant la montée décisive du fascisme hitlérien. Elle soulevé avec une grande clarté, quoi qu'on en dise, les problèmes politiques posés par les besoins sexuels des jeunes et par les luttes révolutionnaires pour la libération humaine du prolétariat et de sa couche la plus exploitée : la jeunesse. Nous nous sommes décidés à publier cette brochure en traduction française, non seulement parce qu'elle a une valeur de témoignage historique remarquable, mais aussi parce que cet ouvrage de Reich, pratiquement introuvable, est celui que la classe dirigeante maudira le plus : c'est en effet un appel direct à la lutte des jeunes contre l'exploitation, la répression, l'obscurantisme, l'irrationalité cléricale, c'est-à-dire un appel à la raison heureuse d'une vie pacifique et libre. De plus, la parution de cette brochure doit marquer, nous l'espérons, la publication et la traduction en français de l’œuvre complète de W. Reich qui est une des rares tentatives d'approche radicale, du point de vue marxiste révolutionnaire de cet Être insoumis, contradictoire, insatiable qu'est la sexualité, c'est-à-dire une composante essentielle de la vie humaine. L’œuvre de Reich n'est pas une somme de livres « scientifiques », d'études de sexologie distinguées et « neutres », mais pour paraphraser Marx, une « critique de l'économie sexuelle », une critique matérialiste des fondements culturels et sociaux de la sexualité aliénée : La critique de la répression du plaisir, de la culpabilité du bonheur, de l'idéologie de la procréation et de la famille bourgeoise. La critique marxiste devait amener nécessairement Reich sur le terrain de la lutte militante pour la politisation de la question sexuelle des jeunes. De ce point de vue, l'intérêt profond de cet écrit, ce qui en fait sa valeur explosive, c'est qu'il est conçu directement pour les jeunes, en vue de leur libération. Ce caractère entraîne bien entendu un certain nombre de défauts et de lacunes que nous n'avons pas cherché à dissimuler dans notre traduction. En premier lieu le style est bien souvent inachevé et reflète l'aspect propagandiste du contenu. De plus celui-ci est adapté à des jeunes militants et non à des spécialistes. Ce livre est un appel à la révolte, à la lutte révolutionnaire et non pas une somme scientifique. D'ailleurs Reich a toujours eu une sainte horreur de deux catégories de gens : les bavards des sciences humaines qui se contentent de mal interpréter le monde (quand ils ne le déforment pas) sans le transformer, et les spécialistes distingués de la jeunesse, marxistes littéraires et socialistes de salon, qui se penchent sur son sort avec prétention et un radicalisme de façade sans l'aider à vaincre sa misère. Or Reich s'adresse ici à des jeunes communistes, sexuellement inhibés la plupart, mal informés souvent. Le style s'en ressent donc et la qualité de l'exposé aussi. Enfin cet écrit subit fortement l'empreinte de son temps. Certaines affirmations mériteraient d'être nuancées ou même tout simplement rectifiées en fonction des réalités d'aujourd'hui, en particulier en ce qui concerne le rôle de l'Union soviétique dans la construction du socialisme. Bien qu'en 1932 il fût déjà clair, du moins aux yeux de l'avant-garde oppositionnelle trotskyste qui refusait la dégénérescence stalinienne, que l'Union soviétique devenait une puissance contre-révolutionnaire basculant dans le camp bourgeois, Reich croyait comme beaucoup de communistes sincères que l'Etat soviétique bureaucratisé était le socialisme. Il était difficile en ce temps-là, surtout en Allemagne, de résister à la propagande stalinienne, aussi peut-on comprendre les affirmations de Reich sur le prétendu socialisme de l'Union soviétique, affirmations qui nous paraissent aujourd'hui tragiquement erronées. Le socialisme stalinien n'était que le massacre des révolutionnaires, la socialisation de la misère sur le dos de la classe ouvrière et au bénéfice d'une bureaucratie privilégiée. De même, les données scientifiques, médicales, vieilles de quelque trente ans, mériteraient également une révision. Nous nous sommes contentés d'une mise à jour sur les points essentiels faite par un médecin compétent [Note de la réédition de 1972 : On consultera avec profit, sur ce sujet ; J.-M. Palmier, Wilhelm Reich, 10-18, Avortement, contraception, Recherches universitaires, n° spécial (hors série)]. Malgré ces minimes restrictions, ce livre demeure aujourd'hui un document dont l'actualité n'est pas prête d'être démentie. Ce livre, dans sa démarche générale, restera vrai aussi longtemps que se fera sentir la nécessité de la lutte politique et sexuelle des jeunes. C'est donc un instrument de lutte, une « arme critique » et c'est ainsi que nous le présentons. Les sexologues, aurait pu dire Reich, n'ont fait qu'interpréter la sexualité, ce dont il s'agit à présent c'est de la transformer. Il n'est pas question, dans le cadre de cette édition, de présenter exhaustivement la vie et l’œuvre de W. Reich Cela nécessiterait tout un volume, d'autant plus que les problèmes posés par cet auteur sont des problèmes de fond, débattus souvent avec passion. Nous nous contenterons de rappeler quelques grands moments de la pensée et de l'action courageuses de W. Reich en les situant dans la lignée de la critique marxiste et psychanalytique révolutionnaire. I. La critique du travail et de l'existence aliénés Reich a critiqué toute sa vie en tant que révolutionnaire l'existence aliénée qu'impose le capitalisme agonisant, la misère matérielle et psychique des masses subissant la loi du profit, l'aliénation du travail qui atomise et pétrifie les relations humaines, la peste émotionnelle névrotique ancrée dans les masses exploitées, broyées, abruties. La vie de l'homme n'est qu'un enfer d'esclavage, de répression, de soumission, de renoncement. Tout comme Hegel, Marx, Freud, Lukacs ou Marcuse, Reich montre avec un réalisme saisissant le malheur et la misère de l'existence des hommes subissant les lois du capitalisme. Les guerres impérialistes, le chômage, le terrorisme fasciste, les crises économiques, la détresse des masses, telle est la toile de fond d'une grande partie de l’œuvre de Reich. Le bonheur, la raison, la liberté qui forment le sens de l'existence humaine ont été brisés, mis en éclats par le malheur collectif, l'irrationalité aveugle des lois capitalistes, la soumission, l'esclavage et la terreur universelle. Lutter pour une vie rationnelle heureuse et libre signifie pour Reich mettre à jour et critiquer les catégories centrales de l'existence aliénée afin de les « révolutionnariser » par un acte pratique, matérialiste, révolutionnaire, communiste. Être révolutionnaire, dit Reich, c'est être radical, et être radical c'est prendre les choses à la racine. 1. Le travail aliéné et l'idéologie du labeur Dans le cadre d'une société de classes où la classe dominante, la bourgeoisie, possède les moyens de production, la classe ouvrière dominée est astreinte au labeur, au travail salarié. L'ouvrier qui ne possède que sa force de travail est obligé de la vendre pour vivre et, par là, doit se soumettre au maître de son travail et de ses produits : le capitaliste. Comme dit Lafargue : « Du moment que je franchis le seuil de l'atelier, je ne m'appartiens plus, je suis la chose du maître ». Celui-ci exploite au mieux de ses intérêts cette chose, lui fait suer la plus-value, la fait tourner au maximum de son rendement. La loi du profit est une maîtresse cruelle ; accumuler, produire, travailler sans relâche : telle est la nécessité du travail salarié. L'ouvrier est contraint dans cette société d'exploitation de l'homme par l'homme de fournir du travail comme une bête de somme dans un système mécanique aux lois duquel il doit se soumettre. Lafargue dit : « Le travailleur ne pense plus, comme un rouage il est engrené à la machine qui est chargée de penser. La production capitaliste avilit le travailleur à n'être qu'un servant de la machine ». Cette aliénation du travail est ressentie subjectivement comme une malédiction. Marx l'exprime ainsi : « Le caractère étranger du travail apparaît nettement dans le fait que, dès qu'il n'existe pas de contrainte physique ou autre, le travail est fui comme la peste ». Cette peste est la réalité de la vie quotidienne de l'ouvrier. Celui-ci passe la plus grande partie de son temps à l'usine, au bureau, au chantier. Comme dit Reich : « Exprimé en termes sociaux, le travail du XXe siècle est entièrement vécu comme devoir et comme nécessité de gagner sa vie. Le travail effectué chaque jour par des centaines de millions de travailleurs dans le monde ne procure ni plaisir ni satisfaction biologique. Il est le type même du travail forcé à l'opposé des tendances biologiques vers le plaisir. On l'exécute par devoir ou par conscience pour subsister et, en règle générale, au profit d'autrui. Le travailleur n'a aucun intérêt pour ce qu'il fait et le travail s'est mué en fardeau ». Pour faire accepter ce fardeau, la bourgeoisie a ses valets et ses grands prêtres idéologiques dont le but est de sacrosanctifier le travail, de le glorifier. « Ils servent, dit Marcuse, à justifier l'acceptation totale du travail comme le contenu même de la vie entière de l'individu ». Et Lafargue poursuit : « La bourgeoisie industrielle a besoin d'avoir à sa disposition des professionnels de l'abêtissement pour remplir cette tâche [...] Le salarié doit être résigné à son sort, la fonction sociale d'exploiteur du travail exige que le bourgeois propage la religion chrétienne prêchant l'humilité et la soumission à Dieu qui élit les maîtres et désigne les serviteurs... » La société capitaliste sécrète ainsi nécessairement l'idéologie du travail et du rendement comme le foie sécrète la bile. N'oublions pas en effet l'affirmation de Lukacs : « L'idéologie n'est pas seulement un effet de l'organisation économique de la société, elle est aussi la condition de son fonctionnement paisible ». 2. L'existence frustrée, l'idéologie du renoncement Le salaire permet à l'ouvrier tout juste de survivre et de faire vivre sa famille « dignement ». Le S.M.I.G. n'est que la caricature de cette réalité dans une prétendue société d'abondance. Tous les plaisirs réels de la vie sont interdits à l'ouvrier. Celui-ci doit travailler à la sueur de son front et, comme le précise le très saint-père Léon XIII, « fournir intégralement et fidèlement tout le travail auquel il s'est engagé par libre contrat » (encyclique Rerum Novarum). L'existence est ainsi une longue chaîne ininterrompue de devoirs, de contraintes, de renoncements, de malheurs, de la naissance à la mort. C'est ce que remarque avec une ironie amère Lafargue : « Quels devoirs t'impose la religion du capital ? Deux devoirs principaux : le devoir de renonciation et le devoir de travail. Ma religion m'ordonne de travailler depuis l'enfance jusqu'à la mort [...] de travailler partout et toujours [...] de prolonger le carême pendant toute l'année, de vivre de privation, de restreindre tous les besoins de ma chair et de comprimer toutes les aspirations de mon esprit ». La terrible réalité capitaliste est la réalité de la frustration, de la négation du plaisir, de la suppression du désir. Tout l'ordre social est mobilisé contre la satisfaction des besoins, contre le plaisir. Pour la morale capitaliste, « le dogme principal c'est le renoncement, l'abandon de la vie et de tous les besoins humains », dit Marx. La morale frappe d'anathème le plaisir et le bonheur (la jouissance) liés à la satisfaction des besoins. Tous les curés, cléricaux ou laïques, ont pour mission de répéter avec le gardien-chef défunt du Vatican Léon XIII : « Oui, la douleur et la souffrance sont l'apanage de l'homme » (Rerum Novarum), et Thiers, autre clérical célèbre, disait en 1849 : « Je veux rendre toute-puissante l'influence du clergé parce que je compte sur lui pour propager cette bonne philosophie qui apprend à l'homme qu'il est ici-bas pour souffrir et non cette autre philosophie qui dit au contraire à l'homme : jouis ». 3. L'ordre oppressif, l'idéal de la soumission Tout l'appareil d'oppression étatique a pour but de maintenir l'ordre bourgeois, c'est-à-dire les rapports de maître à esclave, les rapports d'oppresseur à opprimé. Dans une société déchirée par les antagonismes de classe, l'organisation sociale, c'est-à-dire le maintien de l'édifice ravagé pat les contradictions, suppose que les rôles sociaux soient strictement délimités et fixés. Les opprimés doivent consentir à leur oppression, ils doivent l'accepter ou plutôt ils ne doivent pas la saisir comme oppression, comme violence latente permanente. C'est pourquoi, dit Marx, le rôle des communistes, c'est de rendre l'oppression encore plus oppressive en y ajoutant la conscience de l'oppression. Pour maintenir la classe ouvrière en esclavage, la bourgeoisie dispose d'une arme redoutable : l'appareil d'État. Ce grand molosse répresse, suppose la hiérarchie et la discipline, et exige des opprimés servilité, obéissance, docilité. La religion est la grande alliée de l'État ; son rôle est de rendre supportable la dégradation infinie : l'asservissement de l'homme par l'homme. Comme dit Marx : « Les principes sociaux du christianisme ont justifié l'esclavage antique, glorifié le servage médiéval, ils sont prêts au besoin à faire également l'apologie de l'oppression du prolétariat, ils en seront quittes à jouer l'apitoiement. Les principes sociaux du christianisme prêchent la nécessité d'une classe dominante et d'une classe opprimée, et se bornent à faire le pieux souhait que la première soit charitable à la dernière. Les principes sociaux du christianisme prêchent la lâcheté, le mépris de soi, l'abaissement, la servilité, l'humilité, bref toutes les propriétés mêmes de la canaille ». La minorité dirigeante, pour maintenir ses positions, étouffe donc toutes les tentatives des masses pour agir et penser de façon autonome, c'est-à-dire de façon révolutionnaire. Et toute l'idéologie n'a en dernier ressort qu'une seule fonction : faire accepter l'ordre établi, fabriquer des êtres soumis et obéissants. Le principal soutien affectif, idéologique, de cette oppression est la croyance soigneusement entretenue en la nécessité naturelle et éternelle de l'ordre établi, de l'État en place. La bourgeoisie réussit à faire éprouver à de larges couches ouvrières le sentiment que « l'État, le droit et l'économie de la bourgeoisie sont le seul milieu possible de leur existence... [qu'ils] constituent la base naturelle de la société », dit Lukacs. Le prolétariat est ainsi amené à croire qu'il court à la catastrophe en transgressant les lois de la « nature sociale », comme l'enfant craint de transgresser les interdits familiaux. L'angoisse de transgresser les limites fixées par l'autorité est un des piliers idéologiques les plus solides de la société bourgeoise. Aussi toute l'éducation est-elle centrée sur le respect de l'autorité : autorité du petit chef, du patron, de l'État, du père, du tabou, etc. Toute la société est ainsi basée sur la démission de la liberté réelle, sur l'abandon de l'autonomie, et la structure sociale est dominée par la catégorie centrale de l'autorité. II. La critique de la répression sexuelle L’œuvre de W. Reich est une critique de la répression sexuelle. C'est au nom de la conscience critique révolutionnaire, au nom de la conscience communiste, dont Marx disait déjà que « la passion essentielle est l'indignation, la tâche essentielle la dénonciation », que Reich traque la répression et montre son rôle qui est politique et social. Reich montre que ce n'est pas par hasard si l'Église catholique, la réaction, le fascisme, le stalinisme soutiennent la répression sexuelle. Et quand Pie Xll parle dans son langage de jésuite onctueux de « refréner les désirs de la chair », cela a un sens bien précis. Quelle est donc la fonction de la répression sexuelle ? 1. La préparation à la soumission sociale La famille est l'agence idéologique de l'État capitaliste, elle est l'organe intermédiaire entre l'individu et l'État, et son but est de fabriquer en série des individus « adaptés », consentants. En effet, la domination de la minorité sur la majorité ne peut se faire qu'avec le consentement (relatif) des exploités qui deviennent les agents de leur propre servitude. La famille fabrique les hommes dont la société a besoin. Trotsky avait vérifié cette réalité dans le régime stalinien d'oppression. Il dit dans La Révolution trahie : « Le motif le plus impérieux du culte actuel de la famille est sans nul doute le besoin qu'éprouve la bureaucratie d'une stable hiérarchie des rapports et d'une jeunesse disciplinée par quarante millions de foyers servant de point d'appui à l'autorité et au pouvoir ». On sait également que tous les régimes autoritaires se sont empressés de renforcer la famille (Hitler, Pétain, Franco) parce que la famille représente le bastion de l'ordre. Reich dit : « Le but de la suppression de l'activité sexuelle est de produire un individu qui s'ajuste à l'ordre autoritaire et qui s'y soumettra en dépit de toutes les misères et de toutes les dégradations. D'abord l'enfant doit s'adapter à la structure de cet État autoritaire en miniature, la famille, ce qui le rendra plus tard entièrement soumis au système autoritaire général ». La famille produit en masse la « conscience moutonnière » dont parle Marx. Et c'est, dit Reich, parce que la « suppression de l'activité sexuelle des enfants et des adolescents est le mécanisme de base qui produit les structures caractérielles adaptées à l'asservissement politique, idéologique, économique ». En effet : « La répression de la sexualité naturelle chez l'enfant, particulièrement de la génitalité, rend l'enfant appréhensif, timide, obéissant, craintif devant l'autorité, “gentil”, “tranquille” ; elle paralyse ses tendances rebelles, parce que la rébellion est associée avec l'angoisse ; elle provoque, en inhibant la curiosité sexuelle de l'enfant, un obscurcissement général de son sens critique et de ses facultés mentales ». La société a un intérêt vital à pervertir la raison critique de l'individu, c'est pourquoi elle lui jette en pâture l'abrutissement de masse baptisé pour la cause, civilisation des loisirs, culture de masse, grande société d'abondance ! La société aliénée présente le malheur général, l'aliénation, la réification, comme éléments éternels de la vie sociale, comme facteurs naturels de l'existence. La société capitaliste crée un climat qui lui est propre et qui empêche les gens de percer à jour ses mécanismes et ses contradictions qui broient l'individu. Comme dit un psychanalyste, Caruso : « La prise de conscience de ces contradictions mettrait en question la structure sociale : elle sera donc combattue à l'aide de mystifications idéologiques et en favorisant des tendances régressives : spiritualisme ombrageux [...] ennemi de la “technique” et du “progrès”, réformisme superficiel, positivisme naïf dans les sciences, agnosticisme et idéalisme en philosophie, nihilisme, esthétisme, pessimisme, apocalyptique, culte de l'irrationnel, ésotérisme, occultisme ; tout cela à côté du matérialisme le plus sordide dans la vie pratique, ne reconnaissant en dernière analyse que le pouvoir de l'argent, haines raciales, ethniques, politiques, propagande de guerre et armement, criminalité sauvagement réprimée mais nettement exaltée ; pour la masse : abrutissement organisé à l'aide des “loisirs” vides de sens, du culte de la nouvelle sensationnelle, du détournement de l'intérêt sur les faits divers, les mariages princiers, sur le courrier du cœur et les slogans anticommunistes, etc » (Psychanalyse pour la personne, Ed. du Seuil). Bref, la société apprend à l'individu à capituler, à se faire complice de sa propre aliénation. 2. Création d'une structure caractérielle répressive dans les masses La famille, dans sa continuité, « renouvelle » dans chaque génération la formation d'une structure psychique correspondant à l'ordre social existant et cela dans toutes les couches de la population, dit Reich. L'ordre familial est calqué sur l'ordre social et reflète celui-ci, comme l'a montré Engels, dans son Origine de la famille, de la propriété privée et de l'État. La psychanalyse a retrouvé à sa manière cette réalité. Voici ce qu'exprime très justement I. Caruso : « Baignant dans le climat psycho-social général, la famille essaye de s'y adapter [...] et d'y adapter le plus possible l'enfant dont elle fait “cadeau” à la société ». En effet, « la famille répondra aux conditions névrosantes par des réactions névrotiques. L'adaptation de la famille à une société d'oppression et d'agressivité provoquera nécessairement des réactions agressives de défense, de conformisme, de peur, d'insécurité, etc., et fournira à l'enfant un modèle au premier développement pulsionnel : l'introjection et l'identification apposeront un cachet indélébile à la formation du Surmoi et à la répression des instincts ; avant même d'entrer en contact avec la grande société, l'enfant succombera à la triade névrotique : angoisse, agressivité, culpabilité. Devenu adulte, il alimentera dès lors le bouillon de culture névrotique qu'est la grande société ». Tel est le sens de ce que Freud appelait le destin familial. Mais c'est Reich qui a été le plus loin dans cette critique de la famille. À travers cette usine réactionnaire, précise-t-il, « chaque ordre social crée pour lui-même à l'intérieur des masses la structure psychique qui répond à ses objectifs principaux. Sans cette structure psychologique collective, aucune guerre ne serait possible. Il existe un rapport très important entre l'armature économique d'une société et la psychologie collective de ses membres. [...] Les contradictions de la structure économique d'une société sont ancrées dans, la, psychologie collective. Les propriétaires des moyens de production utilisent rarement la violence pour opprimer les classes travailleuses ; leur arme principale est le poids de l'idéologie sur les opprimés, ce qui apporte à l'État une puissante force de soutien ». La structure caractérielle est essentiellement modelée par la répression, comme l'avait déjà note Freud. Et celui-ci avait montré dans Psychologie collective et analyse du Moi que la répression sexuelle augmentait la cohésion sociale et renforçait les liens collectifs. En effet, dit-il, « les tendances sexuelles entravées se montrent particulièrement capables de créer des attaches durables ». De plus Freud avait montré que ce sont les foules qui excluent totalement la sexualité, comme l'Armée ou l'Église, qui sont les plus stables et les plus durables. Or, dans une société déchirée par les conflits de classe, la classe dominante minoritaire a intérêt à assurer sa domination en préservant l'ordre, c'est-à-dire la cohésion et l'équilibre entre les éléments antagonistes. La morale est ce puissant moyen de cohésion en ce sens qu'elle fait accepter de l'intérieur l'ordre établi. La morale est la reproduction idéologique, à l'intérieur des masses, de la répression. C'est ce qu'exprime Trotsky quand il dit que la morale est le ciment indispensable d'une société ravagée par les conflits. La morale répressive lie les opprimés aux oppresseurs. Elle les rend solidaires à tel point que, dit Marcuse : « L'autorité sociale est absorbée dans la conscience et l'inconscience de l'individu et travaille comme si elle était son propre désir, sa propre morale et sa propre personnalité ». Alors, poursuit-il, « y obéir devient instinctif et presque automatique. Devoir, travail et discipline servent alors de fins en soi. [...] Le renoncement devient partie intégrante de l'univers mental de l'individu (une partie constitutive pour ainsi dire), transmise de génération en génération par l'éducation et le climat social ». Tel est le sens de la répression de la vie sexuelle : « La suppression de l'activité sexuelle sert le but de mécaniser les masses et de les rendre incapables d'indépendance », dit Reich. Quand cela est atteint, les baïonnettes sont inutiles : l'individu est alors à lui-même sa propre baïonnette. La censure est devenue auto-censure, si bien que selon l'expression de Marcuse, la répression est « spontanément recréée par les individus réprimés, ce qui permet un relâchement de la répression externe et forcée ». La bourgeoisie doit faire passer sa violence de classe pour simple nécessité naturelle. Elle fait tout pour que les classes opprimées ne soient pas conscientes de la violence organisée systématiquement, et surtout des possibilités de la supprimer. En effet, il n'y a pas de domination de classe qui puisse à la longue tenir par la simple violence. Talleyrand notait déjà qu' « on peut faire n'importe quoi avec des baïonnettes, mais on ne peut pas s'asseoir dessus ». 3. La préparation au travail et à l'enfer conjugal La répression sexuelle est une préparation directe à la frustration, au travail aliéné et à la famille monogamique. Le plaisir sexuel est réprimé parce qu'il est incompatible, dans sa forme authentique, non aliénée, avec les fondements de l'aliénation. Le plaisir n'admet pas en effet la limitation, le renoncement, qu'exige le principe de réalité capitaliste. Comme négation de la souffrance, il est déjà une incitation à la lutte contre la souffrance. Le plaisir est l'amorce « d'une vie belle et digne d'être vécue », selon l'expression de Lafargue qui appelait de ses vœux le « régime de paresse » : « Pour goûter les joies de la terre, pour faire l'amour et rigoler ; pour banqueter joyeusement en l'honneur du réjouissant Dieu de la fainéantise ». D'autre part, la sexualité représente une possibilité de satisfaction forte et élémentaire ; or, comme dit un psychanalyste, E. Fromm, « la seule réalisation de cette possibilité de bonheur fondamentale conduirait nécessairement à une augmentation des revendications pour la satisfaction et le bonheur dans d'autres domaines de l'existence humaine. L'aboutissement de cette revendication exige que l'on dispose des moyens matériels nécessaires à sa satisfaction et provoquerait à cause de cela l'explosion de l'ordre social régnant ». C'est pourquoi l'énergie sexuelle est sublimée, spiritualisée, c'est-à-dire réprimée au profit du travail et du rendement qui perpétuent l'aliénation sociale et maintiennent la classe ouvrière comme instrument de labeur. Pour faire passer quotidiennement « l'atrocité du travail forcé », selon l'expression de I. Caruso, il faut canaliser toutes les énergies et toutes les pensées de l'ouvrier dans le sens du travail. Il faut faire du travail le sens de la vie. De même la vie sexuelle monogamique exige un dur labeur de préparation. Tout le plaisir érotique extra et prégénital est canalisé dans les voies de la procréation, c'est-à-dire de la reproduction de la force de travail, nécessaire au capital. Ainsi, même le pauvre plaisir de la bête de somme est-il perverti par la menace de l'enfant « à charge », par les nécessités du « foyer ». Les nécessités démographiques, en d'autres termes, la pression possible sur le marché du travail, par l'organisation d'une armée de chômeurs, telles sont les réalités qui imposent à la sexualité la monogamie procréatrice, la répression pré- et extra-maritale (indépendamment du maintien de l'ordre et des « mœurs »). Aussi, dit Reich, n'est-ce pas étonnant que « la restriction sexuelle que doivent s'imposer les adultes pour pouvoir supporter l'existence conjugale et familiale se répercute sur leurs enfants ». Ainsi par la famille se maintient et se perpétue à travers les générations la répression sexuelle qui sert de fondement à la soumission des masses, à l'anéantissement du sens critique, à l'angoisse de transgresser l'ordre établi, à la culpabilité du bonheur, toutes choses qui garantissent la solidité de l'état capitaliste et de son appareil répressif. III La lutte révolutionnaire du prolétariat et de sa jeunesse Reich, après des études de médecine, s'était orienté vers la psychanalyse. En 1922, il avait ouvert un cabinet de consultation et était devenu le premier assistant de Freud à la clinique psychanalytique de Vienne. Pour lui, la théorie était inséparable de la pratique. La psychanalyse avait été, sous l'impulsion géniale de Freud, un instrument de conscience et de libération de l'individu broyé par les contradictions capitalistes, pétrifié par la réification sociale, névrosé par l'atmosphère débilitante de la famille. Reich entendait poursuivre la pratique révolutionnaire du freudisme et développer le contenu révolutionnaire de la psychanalyse. Mais Reich ne mit pas longtemps à comprendre qu'il était vain de vouloir guérir l'individu sans transformer la société qui névrose ces mêmes individus. Il était inutile, avait-il compris, de faire défiler les gens un à un sur le divan de psychanalyse dans l'espoir de guérir la société malade. Comme dit Caruso, c'est une illusion idéaliste de croire « que le divan sur lequel se couchent nos clients est le lit où naîtra une nouvelle humanité ». C'est ce qu'avait profondément ressenti Reich : « Après deux ans de travail à la clinique, j'acquis la conviction que la psychothérapie individuelle a un rayon d'action très limité ». En effet, le destin individuel est inséparable du destin général. Le bonheur ne peut être réalisé que par l'organisation rationnelle et libre de l'existence sociale. C'est pourquoi, avant d'essayer de réformer individuellement les gens, il faut « révolutionnariser » la société. Il y a des millions de personnes dont la structure psychique est ruinée par la névrose et qui n'arrivent plus à jouir de la vie et à accomplir leur travail. À chaque heure du jour, l'éducation familiale et les conditions sociales créent des millions de névroses nouvelles. « J'ai tenté, dit Reich, de montrer que les névroses sont le fruit de l'éducation patriarcale avec la suppression de l'activité sexuelle et que la seule issue serait la prévention des névroses. Dans notre système social actuel, les bases d'un programme pratique de prévention sont absentes ; elles ne pourront être posées que par une révolution radicale dans les institutions sociales et les idéologies, changement qui dépendra du dénouement des luttes politiques de notre siècle. » Ces luttes politiques, ces combats pour l'émancipation ouvrière, Reich les mena un certain temps avec le parti communiste allemand. Pour lui, la révolution était inséparable de la révolution sexuelle, et celle-ci était un des buts de la révolution sociale. Pour Reich, la révolution était « une révision de l'ordre social en termes de bonheur terrestre ». C'est pourquoi Reich devint communiste, car il pensait que, pour les communistes, « le but est le bonheur terrestre matériel et sexuel des masses ». La première révolution prolétarienne victorieuse, la révolution russe de 1917, avait entraîné une très grande libération des mœurs sexuelles. La révolution socialiste se présentait ainsi comme la promesse d'une vie humaine libre et heureuse. Mais le régime soviétique, sous la pression du bureaucratisme stalinien, en proie à des difficultés considérables, ne tarda pas à dégénérer en un régime de terreur, surtout après l'élimination de Trotsky. Le régime soviétique qui avait été pour les masses exploitées et les communistes conscients « l'aube merveilleuse » de la libération humaine, revenait à présent à l'oppression, au travail forcé, au puritanisme sexuel. Le stalinisme était devenu la caricature du bolchevisme. La stalinisation gagna toute l'Internationale communiste. Les partis nationaux, dont le P.C.A., devinrent de simples appendices de la politique et de la diplomatie staliniennes. Les partis communistes n'avaient plus pour but de faire la révolution mondiale mais de défendre les intérêts particuliers du Kremlin. La liberté de critique et de discussion diminua rapidement car elle était incompatible avec la bureaucratie. Malgré tout, les communistes occidentaux, abusés par la propagande stalinienne et tenant affectivement à « l'exemple fascinant », ne pouvaient et ne voulaient pas admettre la réalité de la dégénérescence. Reich fut néanmoins contraint d'ouvrir les yeux. En 1932 (dans la brochure que nous publions ici), il défendait encore Staline dont il disait qu'il ne fallait pas croire qu'il était un dictateur sanglant ». Mais, en 1932, deux journaux du parti, Fichte et Roter Sport, attaquaient Reich et interdisaient la diffusion de ses livres dans les cellules. Quelque temps après, Reich était exclu du parti. Ainsi était éliminé un gêneur de taille. Les raisons de cette exclusion étaient simples. Reich avait entrevu, comme d'autres communistes conscients, le processus de réinstauration de la réaction sexuelle et de l'idéologie de la famille. Il avait compris qu'il était étroitement lié au processus de bureaucratisation de l'Union soviétique. Comme il le dit lui-même dans La Fonction de l'orgasme : « C'était l'époque où avait déjà commencé la destruction de la démocratie sociale de Lénine, l'instauration de la dictature dans l'Union soviétique et l'abandon de tous les principes de vérité dans la pensée sociologique ». En tant que communiste sincère et psychanalyste entièrement dévoué à la cause de la libération du prolétariat de la misère psychique, de la « peste » comme il appelait cette dernière, Reich avait compris que, « de toute manière, la démocratie sociale originelle en Russie était la solution la plus humaine possible dans les conditions existantes de l'histoire de la structure humaine ». Mais, à présent, il devait se rendre à l'évidence : « il n'est pas douteux que la démocratie sociale de Lénine ait dégénéré dans le stalinisme dictatorial d'aujourd'hui ». Or Reich était de ceux pour qui la révolution n'était pas objet de discours dominical. Il entendait réellement défendre les intérêts des masses, leurs besoins. À ceux des « marxistes » qui lui disaient que les névroses n'étaient que fantaisie bourgeoise ou petite-bourgeoise, que le besoin sexuel n'était pas un besoin matériel, Reich répondait : « Comme si le besoin sexuel n'est pas lui aussi un besoin matériel ! ». De plus, les névroses, loin d'être des maladies bourgeoises, sont « très largement répandues à la manière d'une épidémie. [...] Les névroses de la classe laborieuse ne se différencient des autres que par une absence de raffinement culturel. Elles ont le sens d'une révolte plus crue et moins déguisée contre le massacre psychique auquel chacun est soumis. Le citoyen riche porte sa névrose avec dignité ou il la dépasse d'une façon ou d'une autre. Chez les individus des classes laborieuses, elle prend l'aspect de la tragédie grotesque qu'elle est réellement ». Comprenant donc que « la psychanalyse n'est pas une thérapeutique destinée à une application sur une large échelle », Reich mit sur pied une organisation révolutionnaire, la Sexpol, dépendant de la IIIe Internationale et dont le but était le travail d'agitation, d'explication et de propagande politique et sexuelle révolutionnaire, en particulier au sein de la jeunesse communiste. Reich organisait des meetings et des conférences dans les usines et les groupements de jeunesse en expliquant la nécessité de la lutte sexuelle révolutionnaire, c'est-à-dire communiste, des jeunes. Ce sont ces expériences et cette activité que reflète cette brochure que nous publions. Elle pose clairement le problème : réforme ou révolution sexuelle en liaison, d'ailleurs, avec le problème général : réforme ou révolution politique. Reich dit ainsi : « La réforme sexuelle vise à écarter de la vie sexuelle sociale des inconvénients liés, en dernière analyse, au régime économique et s’exprimant dans les souffrances morales des individus. Dans la société fondée sur les classes, parallèlement aux conflits économiques et aux luttes d'idées, les contradictions vont s'approfondissant entre la morale courante, imposée à l'ensemble de la société par les classes dirigeantes soucieuses de maintenir et de consolider leur domination, et les exigences naturelles de la sexualité de l’individu. À un moment donné, ces contradictions finissent par engendrer une crise qui demeure insoluble dans le cadre de l'ordre social existant. Le sentimental bourgeois ne comprendra jamais que la misère sexuelle est un des attributs de l'ordre social qu'il défend ». Reich ne se faisait ainsi pas d'illusions sur les chances d'une réforme sexuelle. Il savait qu'il était illusoire de croire à « une libération de la sexualité à l'intérieur de la charpente d'une société réactionnaire ». Reich n'était pas naïf au point de croire, comme le prétend à tort par exemple Marcuse, que « la libération sexuelle en soi » est « une panacée à tous les maux individuels et sociaux ». Il savait parfaitement, au contraire, que « dans la société capitaliste, il n'existe pas de libération sexuelle de la jeunesse, pas de vie sexuelle saine et satisfaisante », il savait qu'il « n'y a pas d'autre voie pour la libération sexuelle que celle de la révolution ». Mais Reich savait également qu'on ne peut pas attendre le socialisme pour entreprendre quelque chose en vue de la libération sexuelle du prolétariat et de sa jeunesse. La sexualité, étant un intérêt matériel, devait être défendue au même titre que les autres intérêts de la classe ouvrière. Reich n'admettait pas l'attitude ultra-gauche consistant à répéter : il n'y a rien à faire avant le socialisme. Pour commencer, le socialisme est un processus, disait-il, et non pas un état donné dans le temps et, deuxièmement, cette attitude apparemment radicale cache en réalité une capitulation devant l'ordre établi. Certes, seule la révolution pourra résoudre le problème sexuel, mais en attendant il faut politiser ce problème, en faire un thème d'agitation et d'organisation ouvrière en liaison avec la lutte de classe concrète, en rapport avec la lutte contre la répression. De plus, les communistes n'ayant pas d'autres intérêts que ceux de l'ensemble de la classe ouvrière, il est du devoir du parti de défendre la jeunesse ouvrière contre la répression sexuelle, contre l'obscurantisme clérical, contre la soumission autoritaire de la famille réactionnaire. Que faire alors pratiquement ? L'organisation et la lutte révolutionnaire de la jeunesse. « Nous avons pour nous la preuve que le socialisme seul peut réaliser la libération sexuelle. C'est pourquoi il s'agit, dans le capitalisme, de faire agir toutes les forces afin de convaincre dans cette perspective les millions d'opprimés et de les mobiliser dans la lutte impitoyable contre ce qui s'oppose à cette libération. La jeunesse marchera au premier rang de ce rassemblement à cause précisément de la grande oppression matérielle autoritaire et sexuelle qui l'assujettit et qui unit tous les jeunes entre eux. [...] Nous gagnerons à nous la jeunesse et nous l'enthousiasmerons pour la cause de la révolution dans la mesure où nous comprendrons sa misère sexuelle et la persuaderons que la seule chose qu'on puisse lui dire en toute responsabilité et en toute vérité est : “Si tu veux supprimer la misère sexuelle, alors lutte pour le socialisme” ». Aussi, ajoute Reich, « nous devons résoudre le problème sexuel d'une manière révolutionnaire, en parvenant à une théorie de politique sexuelle claire et ensuite à une praxis sexuelle révolutionnaire. C'est, nous en sommes convaincus, la véritable voie pour une solution définitive ». Quand surgissent les problèmes, ils exigent une réponse : « Il faut politiser cette question sexuelle, il faut transformer la rébellion sexuelle de la jeunesse, secrète ou ouverte, en une lutte révolutionnaire contre l'ordre social capitaliste ». La réaction internationale ne s'était pas trompée sur le sens de ces paroles : exclu du parti communiste, exclu de l'Association internationale de psychanalyse, ses livres furent brûlés par les fascistes et son œuvre passa sous silence, en proie à l'hostilité de la science officielle et des théoriciens de l'adaptation réussie, des psychanalystes « orthodoxes » et des « marxistes » petits-bourgeois, théoriciens du « chacun se débrouille comme il peut » ou du mot d'ordre vulgaire : « la sexualité est une affaire bourgeoise ». Aujourd’hui il s'agit de faire revivre l’œuvre de Reich, d'abord de la tirer de l'ombre, ensuite d'en extraire le noyau décisif : la critique de la répression sexuelle, de la peste psychique, de l'irrationalité de l'existence, la lutte pour le bonheur, la liberté, comme contenu même de la vie. L’œuvre contient en elle les possibilités de son propre dépassement. Critiquer Reich voudra dire ainsi rester fidèle à son œuvre. Le mérite de Reich aura été en tout cas d'avoir été le premier à poser le problème de manière radicale. « Être radical, dit Marx, c'est prendre les choses à la racine, or la racine pour l'homme, c'est l'homme. » Jean-Marie Brohm.
Paris. 1966.
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