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Merci Marie-France H.

 

La systématique Iago

 

IL Y A QUELQUES DEUX décennies, j'avais été très intéressé par les fins de révolutions : j'avais remarqué que les révolutions finissaient toujours de la même manière, quasiment, qu'elles avortaient toutes de ce pourquoi elles s'étaient engrossées. Je ne dis pas que j'avais réussi à faire aboutir cette étude ; d'ailleurs elle n'a pas été publiée. Mais tout de même j'en ai retenu quelque chose : que l'être humain en état de révolution est lassable dans ses résolutions, et que ses résolutions le fatiguent quand bien même il tiendrait un petit peu plus longtemps son haleine pour en profiter mieux. Je dois cependant dire que cette analyse des fins des révolutions, que je n'ai jamais vue ailleurs par ailleurs sinon que chez quatre autres personnes dont S. Freud ; une s'en est préoccupée sous la forme de " la psychologie de masse du fascisme (1)" et une autre parle de " la psychologie de masse de la soumission (2) " ( quel sujet singulier fait-on de s'intéresser à un si singulier sujet ) et d'un autre que je n'ai pas réussi à lire. Ce qui m'a conduit à cette conclusion banale qu'il y a deux sortes de fins aux révolutions : celles qui sont écrasées à cause du nombre trop faible de ses participants face à " la répression ", et celles qui, bien que dotées d'un nombre plus qu'impressionnant de participants, meurent dans l'oeuf. C'est cette dernière sorte qui m'a le plus intéressé, quoiqu'il irait presque sans dire que ma sympathie va tout de suite se retrouver chez la première.

Plus tard j'ai lu quelques autres livres que ceux écrits par ceux qui ont vécu ce qu'ils décrivent. Et un genre est celui qui comprend les livres écrits par les personnes qui cherchent à résoudre le problème du particulier qui ne sait plus trop bien qui il est -- et pourquoi. Éric Berne, par exemple, est très intéressant à ce sujet ainsi que son confrère et copain Claude Steiner ; les autres n'étant que des adaptateurs salariant que je peux très bien mettre dans la catégorie des fins de révolution dans l'oeuf qui a pourri faute d'avoir été cuit au bon moment. Et toujours pour une bonne raison, dans ce cas, qui est de garder un pouvoir consistant à en avoir un sur les autres qui se doivent de continuer à travailler pour payer le maintien de ce pouvoir. Pourtant, si on réfléchit bien et posément, quelque soit sa nature, la pollution est l'exacte mesure du travail excédentaire et donc du pouvoir excédentaire exercé catégoriquement. Et puis j'ai lu d'autres livres encore, bu d'autres bouteilles et me suis adonné à quelques autres pratiques de l'esprit et du corps. Mais mes préférences se trouvant la plupart du temps du même côté d'une sorte de barrière (je rappelle qu'à ce niveau les bornes du connu sont aussi celles de l'inconnu), je ne pouvais m'en servir comme référence sous peine d'être classé immédiatement comme un poisseux ou un casse-noisettes par les uns, et par les autres un intellectuel -- moi qui suis né pour la poésie -- sans que rien de ce que je disais ne fut écouté. J'ai donc été bien content d'avoir rencontré le livre de M-F. Hirigoyen qui parlait d'un coté diplômé. Je me demande encore si elle savait, lorsqu'elle a écrit son ouvrage sur " Le harcèlement moral " (j'envie cette intelligence de contourner un problème pour le faire comprendre et en faire appréhender une éventuelle solution telle qu'elle l'aurait alors fait) qu'elle y décrivait principalement la tare du malséant, du Mojdu ou du Iago et la paralysie que cette tare provoque chez ceux là même qui doivent conduire à terme une révolution d'autant plus nécessaire qu'elle se devrait d'être plus complète au regard des conditions présentes d'existence infligées aux êtres humains naissants.

J'étais d'autant plus content d'avoir trouvé ce livre, qui se trouvait devant moi, que pour une fois ce n'était pas quelqu'un d'un " certain bord " qui disait des choses réellement intéressantes : la cuirasse sociale se mine d'elle-même d'une certaine manière, cherchant toujours la liberté de mouvement (ne soyons pas si pessimiste, c'est une question de temps, bien qu'il faille qu'on se presse, serait-ce pour en profiter soi, bien égoïstement, et que cesse l'intoxication de la planète afin que les enfants grandissent plus confortablement sans ces cancers de la peau ou des poumons déjà potentialisés).

Il y a effectivement une systématique du comportement chez Iago (vous savez ? le Iago qui a rendu si complètement stupide le Maure Othello que celui-ci a tué sa belle compagne, ou encore ce Yahoo que se disait être Gullivers ?). Je pense que cela doit en intéresser plus d'un, malgré les temps qui courent à chasser ce qui peut être intéressant de devant soi. Je ne dis pas que je vais être exhaustif, bien évidemment ; cela pour quelques raisons. D'abord l'exhaustif est comme le parfait, il ne peut s'atteindre que sous la torture. Et puis pour une exhaustivité satisfaisante il ne faut pas être fainéant, et je suis paresseux ; pour pallier à cet inconvénient il aurait fallu que nous soyons deux à écrire ce chapitre, pour une émulation commune d'autant plus amusante qu'elle serait enrichissante. Et je suis seul. Donc, un peu moins d'exhaustivité encore en perspective. Et puis pour finir, pourquoi donc tendrais-je à l'exhaustivité de quelque chose qui demande de l'observation pour être comprise et intelligemment évitée, sinon même, parfois il faut le faire, pour être détruite ? Alors que cette expérience ne peut s'acquérir que par soi-même ? Donc, si le lecteur veut plus d'exhaustivité, il devra mettre de lui-même la main à la pâte : qu'il me pardonne !

Le comportement " émotionnellement pestiféré " de Iago, bien que et parce que celui qui l'écoute, la victime dont Iago est totalement dépendant, y est, lui aussi, pour quelque chose, dans cet ordre des pouvoirs basé essentiellement sur la culpabilité du " faible " de savoir ses pulsions cruelles cruelles, tandis que celles du Iago ne lui servent qu'à jouir de cette cruauté non nécessaire dans les rapports d'équité entre des êtres humains, le comportement pestiféré de Iago a une systématique, dis-je ; et je vais tâcher d'en faite tâter quelles épines, dans la mesure des moyens qui me sont propres, si on veut bien les accepter un instant de courte lecture.

Iago bloque la conversation par des " messages paradoxaux " qui placent le sujet qu'il veut accaparer dans une impossibilité de fournir des réponses appropriées (surtout pour celles qui concernent le problème qui l'intéresse et duquel il ne veut rien savoir Iago) car ces messages paradoxaux ne lui permettent plus de comprendre la situation : le Sujet de l'Histoire est perdu et a perdu son adéquation. Le sujet s'épuise à trouver des solutions, qui sont de toutes façons inadaptées, et quelle que soit sa résistance, il ne peut éviter l'émergence de l'angoisse et de la dépression.

Bien sûr, vu d'ici la situation semble décrite dans l'extrême ; mais c'est justement là l'objet de la théorie : montrer des situations extrêmes pour mieux distinguer les subtilités des situations fines qui sont toujours un mélange de situations extrêmes réduites au dixième, et même parfois au centième de leur description théorique. Iago cherche d'abord à bloquer la respiration de son sujet, c'est là que se portent ses premiers efforts pour obtenir ses premiers effets. Privé de l'oxygène que lui apporte le mouvement alternatif, le sujet est sous l'emprise de l'angoisse et de la dépression. Ou inversement, sous l'emprise de l'angoisse et de la dépression, le Sujet de l'Histoire ne retrouve plus la respiration qui permet de vivre du mouvement alternatif, qui lui est naturel et lui apporte l'oxygène indispensable, dont seul Iago peut penser à se dispenser.

Qu'est ce qu'un mouvement de troupe angoissé et un mouvement de troupe dépressionnaire ? Lorsque Iago cherche l'angoisse, si ce n'est pour lui-même, ce sera toujours pour l'autre, à ceci près qu'il maîtrise mieux son angoisse lorsqu'elle angoisse l'autre : c'est l'objet même du pervers d'une telle situation car l'angoisse est un pouvoir abusif sur l'autre lorsqu'elle suscite exagérément la compassion et la bienveillance. Ce que cherche Iago c'est l'angoisse car il sait que l'angoisse enlève les moyens d'attaque et même de défense chez celui qu'il considère son adversaire. Il convient alors que le sujet contre-attaque radicalement en considérant ce qu'il nommait auparavant son interlocuteur, en citoyen digne de ce nom, comme un adversaire à sa cause et d'agir en conséquence.

Et pour cela il doit changer son angoisse en agressivité, en respirant. Iago alors, par des paroles anodines, des allusions, des suggestions ou des non-dits, déstabilise effectivement son sujet, ou même détruit son identité par le mot, et cela sans que personne de l'entourage n'intervienne, c'est à dire vérifie ce qui se passe ; car l'intervenant éventuel a peur d'être à son tour le sujet de ces petits gros mots : il sait qu'il aura à s'en défendre (et il se sent sans forces), qu'il ne pourra pas se défendre à son tour, qu'il lui manquera la force pour accuser ces revers, car ces revers sont, d'après lui, sans commune mesure avec ses propres forces. Le pouvoir de Iago est dans la création d'une angoisse sans réel objet chez l'autre. Combien de comportements de bravade éveille-t-on chez ceux qui ne veulent pas qu'on les prenne pour des couards et qui sont pourtant condamnés pour associalité ? Dans la gradation qui va de l'anxiété à la peur en passant par l'angoisse, toujours Iago cherche au minimum à sauter la première étape, car déjà dans l'angoisse chacun a perdu un bonne partie de ses moyens, qui sont ses moyens de comprendre ce qu'il vit, là où il le vit au moment où il le vit dans un contexte historique, pour adopter en connaissance de cause l'action la plus appropriée à l'évènement dont Iago se sert ici pour susciter l'angoisse.

C'est ainsi que nous avons une tolérance inouïe à l'égard des mensonges et des manipulations des hommes de pouvoir (bureaucrates, politiciens, syndicalistes, policiers, juges, brigands, proxénètes et le reste du même acabit tel le journalisme). C'est que l'emprise perverse a un mouvement linéaire à trois stations : il y a d'abord une action d'appropriation par la dépréciation de l'autre, que suit une action de domination où l'autre est maintenu dans un état de dépendance, et finalement par une action d'empreinte, où Iago veut laisser une marque sur son sujet. C'est à dire qu'après avoir fait comprendre que tu as à être considéré comme con, tu es mis (ou tu te mets) en demande d'infirmation vis-à-vis de celui qui a dit que tu es tel et celui-ci t'achève en te faisant remarquer que tu l'es d'autant plus que tu lui demandes de s'infirmer ; tout juste si tu peux t'essuyer la fiente qu'il t'a fait dessus parce que tu te sens poisseux (pour rester poli) de celle qu'il t'a fait faire. Clair. La connerie n'est pas si innée qu'on veut le faire entendre, sinon nous ne saurions pas tant à nous la disputer. Donc on évite la dispute avec elle ou pour elle.

Mais ce n'est pas facile, car les instigations de Iago sont vieilles et nous ont atteint tant de fois en maints lieux, et de si diverses manières. Et toujours de cette systématique Iago. Ainsi pour déstabiliser un Sujet de l'Histoire, il suffit, plus ou moins dans l'ordre, de :

- se moquer de ses convictions, de ses choix politiques, de ses goûts ;

- de ne lui plus adresser la parole ;

- de le ridiculiser en public (et en matière de public un seul tiers suffit, d'autant pire que ce tiers est lui aussi un Iago !)

- de le dénigrer devant d'autres ;

- de le priver de toute possibilité de s'exprimer ;

- de se gausser de ses points faibles ( -- Toi la nana à la grosse poitrine ... trois p'tits points. -- Toi le mec au gros ventre ... trois p'tits points. -- Toi l'fêtard, j't'ai vu v'nir c'matin ... trois p'tits points encore. C'est toujours une histoire de p'tits points : " qu'est-ce qu'il veut dire ? où veut-il en venir ? " sont les questions que l'on pose soi à ces âcres remarques tandis que l'on soupçonne que les tiers eux se demandent " tient, il sait des choses ... trois p'tits point : de quoi donc son interlocuteur est-il coupable ? ... à ses yeux que je pourrais moi aussi être concerné ? ... contre quoi je devrais moi aussi avoir à me déculpabiliser, me sentir, moi aussi quelque part, coupable ? Mais qu'est-ce donc exactement ? Quel secret secret détient-il ? ". Une fois on m'a simplement dit : -- Toi, j'te r'connais, t'étais déjà là hier ... trois p'tits points.  -- Vous, Monsieur, allez mâcher votre chewing-gum devant quelqu'un d'autre (que moi), je vous prie, vos bruits masticatoires sont sans commune mesure avec la gravité de la situation ... trois p'tits points) ;

- de faire des allusions désobligeantes sans jamais les exprimer ;

- d'émettre des doutes sur ses capacités de jugement ou de décision ;

- il a l'art de faire accepter un gain à venir (parfois sous forme de phrases écrites en tous petits caractères, ou plus simplement à partir de ce que tu n'as pas voulu entendre) que tu n'obtiendras jamais en récompense de la perte d'un tien avantage que tu dois consentir par ta concession immédiate.

Il y a plusieurs pièges, comme ceux-là, que Iago détend au bon moment, mais il reste toujours une parade : vérifier et ne pas avoir honte de sa propre intimité. Iago est partout ; je peux même l'identifier à ce fumeux ou radioactif Big Brother, l'oeil chamarré de la télévision qui ne vous laisse pas le temps de voir, de vérifier, sinon que dans ses propres dispositions invérifiables et qui porte votre attention sur les taches du slip de l'animateur. Iago, c'est une disposition des évènements. Ce qui m'a toujours le plus étonné dans ses atrocités, et très tôt, c'est qu'il y a des sbires pour exécuter l'abus de pouvoir : on peut toujours avoir du pouvoir, ou un pouvoir, mais on ne peut en abuser contre la liberté de l'autre. Et malgré cela, des souffreteux affectifs jaloux, trouvant là une légitimité, se donnent l'occasion d'exécuter ce dont ils ne sont pas capables de faire (qui est honteux) de leur propre initiative -- et c'est tant mieux pour eux, sinon ils se feraient casser la gueule ! -- à travers les ordres que Iago leur vend contre leur soumission, leur absence de la jouissance de la liberté, qui est toujours une charge et une responsabilité qu'ils refusent d'assumer.

La prise de pouvoir se fait par la parole, en premier essor. Donner l'impression de savoir mieux, de détenir une vérité, " la " vérité. Lorsque " la " vérité est dite par un autre, elle est beaucoup moins engageante que dite par soi, si on sait l'exprimer, nous qui vivons en enfants perdus nos formulations incomplètes ; cela permet d'une part de ne pas être trop critique vis-à-vis de cette vérité, et d'autre part de laisser un flou au cas où on devrait s'engager pour elle : l'objectif est atteint par Iago qui est de laisser pantois et inactif. Le discours de Iago est un discours totalisant qui énonce des propositions qui paraissent, ou qu'il fait paraître, universellement vraies. Si le Sujet de l'Histoire se rebelle devant la lâcheté ou l'étroitesse d'esprit de Iago, qui se traduisent toujours par une restriction des mouvements possibles, celui-ci pointera son doigt sur l'agressivité et la malignité du sujet qui le saborde.

Mais à la fois, Iago suscite et sollicite la commisération, il sollicite son rejet par l'autre, qui prend pitié de lui et adoucit alors sa critique. Et cela rassure Iago de voir que la vie est exactement comme il a toujours su l'envisager, puisque lorsque l'autre baisse sa garde par une gentillesse naturelle, ou par empathie, Iago retrouve exactement la bassesse du monde telle qu'il l'a toujours présagée, telle qu'il l'a toujours ressentie en lui, vu qu'il est lui-même doté d'une fine intuition, mais incapable d'empathie et est donc incapable de la comprendre de coeur. Pour lui la soumission de l'autre ne suffit pas, il lui faut s'approprier sa " substance ", qui n'est rien d'autre que la capacité propre à se mouvoir selon ses désirs, à " grandir librement dans ses terribles jeux (3) ". C'est comme s'il posait chez l'autre une partie de lui-même qu'il ne peut quitter, bien qu'il veuille tout en ignorer. Le pouvoir abusif, c'est fanatiquement avoir peur d'être abusé. C'est une armure de sarcasmes qui protège Iago de ce qu'il craint le plus : la communication. C'est une sorte d'amour à l'envers (de la haine de misère, en quelques mots), une expression d'amour trituré par la souffrance. Et ce spectacle de la souffrance -- à la fois cette commisération et l'indéniable devoir d'annihiler les médisances de Iago -- lui est insupportable : il y retrouve sa propre souffrance, et il renforce alors son agression pour faire taire le Sujet de l'Histoire, pour tuer cette empathie révélatrice du vivant. Le bourreau est toujours sûr de la mort de sa victime.

Il s'agit d'envie qui se transforme en haine. Iago envie la fragilité de la mobilité émotive du Sujet de l'Histoire et de ses tâches. Iago ne peut supporter le frêle, il lui faut le casser.

À partir de là, je peux avancer un peu plus loin dans la systématique Iago comme composante du maintien de l'État des choses :

a) il inhibe les mouvements énergétiques du Sujet de l'Histoire par

- la contradiction que lui voit péremptoirement des pensées ( où tous les moyens sont pour lui permis), qui sont toujours contraires à son immobilisme ;

- la contradiction que lui voit péremptoirement des actes (tous les coups sont pour lui légitimes, loi ou pas loi), qui sont toujours dérangeants pour son immobilité ;

b) ensuite il leur donne une orientation différente qui, par là même, ne correspond plus aux mouvements biologiques du Sujet de l'Histoire. Il cherche à injecter en l'autre ce qui en lui est mauvais, et il le sait, c'est-à-dire le maintien de l'ordre présent des choses ;

c) et il amène à la mort cet exsangué sujet.

Pourquoi ? Parce qu'il a reconnu dans le Sujet de l'Histoire quelque chose qui est en lui mort et que le sujet a réussi, malgré tout, à conserver vivant et qui est bon ; et aussi à cause du fait que Iago ne peut blairer que le Sujet de l'Histoire sente la blessure de cette mort que lui, Iago, a en lui et que ce sujet peut panser, car le propre du vivant est de guérir et de réparer.

Je pense que voila assez bien approché la monolectique de Iago face à la dialectique du Sujet de l'Histoire : le doute et le mouvement de revers de l'énergie sur elle-même pour se comprendre et se correspondre au plus près d'elle-même. L'acte de Iago est de provoquer un doute excessif et trouble à la pensée et, par là même, la reconnaissance de cette énergie par elle-même ; car la reconnaissance de la pensée par la pensée elle-même est troublée et ne devient plus à même de se reconnaître dans la production de son monde. Attribuer une positivité à Iago serait aisée s'il s'orientait vers le plaisir, ou seulement tendrait à une telle orientation ; mais Iago s'oriente vers la destruction sans connaître quoi que ce soit de la construction. Le plaisir qu'il ressent comme satisfaction c'est de n'en avoir rien ressenti. Sa satisfaction n'en est une que par rapport au moins meilleur de la satisfaction, à son évitement, le plaisir de vivre recevant la représentation du pire. Il en souffre et veut en faire souffrir ses congénères. Il ne veut pas que les choses se fassent car elles se font trop souvent, selon lui, pour le plaisir et il est incapable d'en ressentir librement l'émotion et de reconnaître profondément ce qu'est une réalisation.

Bien évidemment il y a du Iago en chacun de nous : comme je l'ai dit tout à l'heure à propos du temps qui passe, cela fait longtemps qu'il cherche à plier la liberté sous son joug et sa couleur terne est déteignante, tel le noirâtre que peint sur les murs de la ville la circulation automobile. Elle se voit sur les visages qui s'éclairent alors qu'on leur parle. Iago c'est le silence du non-dit, du non vérifié, de l'invérifiable, de la calomnie, de la bande unisexuée, de l'abus de pouvoir, de l'injustice volontaire, ce silence si particulier à la misère affective. Iago doit comprendre qu'il ne pourra se réparer que lorsqu'il laissera les conditions propres à sa réparation se construire par le fait du Sujet de l'Histoire, à laquelle il participera en taisant sa morgue, pour que ces conditions, qui sont très éloignées du travail excédentaire, puissent advenir.

 

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(1) Wilhelm Reich ; (2) Guy Debord ; (3) Charles Baudelaire